Tribune publiée dans la Revue "La Chaîne d’Union" N°103 (janvier 2023)

Modernité du Rite Écossais Rectifié

Ce rite maçonnique chrétien du XVIIIe siècle, tourné vers la bienfaisance active, douce et consolante, propose depuis bientôt deux-cent-cinquante ans, la spécificité chevaleresque d’une démarche humaniste transcendantale et intemporelle au sein du Grand Orient de France.

Dans sa recherche des origines et de la destination de l’Homme, le Rite Écossais Rectifié fournit un guide et une méthode à celui ou celle qui en exprime le désir et la volonté, afin de retrouver sa liberté de pensée et sa liberté d’action dans le dédale de la complexité contemporaine. C’est aussi un chemin de bienveillance et de bienfaisance qui est proposé, en premier lieu à celui ou celle qui l’emprunte avant qu’il n’en fasse le partage autour d’eux tel un message d’Amour qui se diffuse inexorablement.
L’Humilité et l’Amour sont des valeurs spirituelles enrichies de notre recherche intérieure. Toutes les deux tournent notre visage et notre cœur vers l’autre. Ce rite nous amène à un humanisme vivant et chrétien au sens large, avec la seule obligation d’aller vers l’autre, comme pourrait le résumer le commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

L’Homme devant l’Univers, s’interroge

Dans une période dite occidentale moderne où l’on est plus ou moins consciemment en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme valeur humaine définitive et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses plaisirs, des Hommes - hommes et femmes - porteurs d’un autre désir, sont pourtant en quête (racine étymologique de recherche), c’est-à-dire en route à la recherche d’une solution à une question qui n’avait pas jusqu’alors de solution satisfaisante. Être persuadés qu’existe une autre mesure que celle des lois du marché, conduit ces hommes sur une voie nouvelle, mesure du véritable humanisme.
En maçonnerie la force supplémentaire de cette quête est qu’elle concerne chacun de ses membres décidés à œuvrer ensemble pour le bien de l’humanité. Dans la démarche du Rite Écossais Rectifié, cette force supplémentaire est magnifiée dans une démarche de découverte collective qui s’appuie sur une base individuelle guidée dans une direction formalisée depuis au moins le XVIIIe siècle chrétien et dont la doctrine (ne jamais confondre une doctrine et un dogme) basée sur une foi adulte en l’Homme ne suit pas les courants de la mode ni les dernières nouveautés puisqu’elle nous est solidement parvenue par la conservation d’antiques manuscrits originaux.
Le cœur du message du Rite Écossais Rectifié, sa dimension ontologique, tourne autour de la quête spirituelle à la recherche de la Tradition et de l’Initiation Primordiale. Répondre à la question « que sommes-nous et d’où venons-nous ? ». Aujourd’hui encore ces questions relèvent de notre actualité et suscitent toujours autant d’engouement. Le principe humaniste, depuis la nuit des temps, a caractérisé une place particulière pour l’humain dans la chaîne de la vie et dans l’ordre cosmique. Quel que soit le bout par lequel on l’aborde, qu’il s’agisse de l’intelligence, de l’ordre divin et de l’âme, de la responsabilité, de l’individuel ou du grand tout, parce qu’elle est abordée par des humains qui se nourrissent de leur propre histoire et de leurs mythes, de leurs craintes et de leurs rêves, de leurs limites et de leur sacré, elle trace une voie humaine en interaction et en empathie avec les autres espèces et l’ensemble de l’univers. Mais cette question est là. C’est le grand mystère de la Vie et c’est pour apporter cette dimension spirituelle à la Franc-Maçonnerie que les fondateurs du Rite Écossais Rectifié ont œuvré. Il est vrai que les quêtes du moment étaient, soit extravagantes, comme celle de rétablir l’Ordre du Temple, soit enfantines comme rendre, au fond de tavernes, tous les hommes frères les uns des autres, comme si cela n’avait pas été fait mille fois sans succès, et que peut-être avait-on négligé de préciser qu’une fois frères, il fallait encore apprendre à ne pas désirer le même objet, se donner des règles et réussir à faire société.

La spécificité d’une quête

Un Franc-Maçon du Rite Écossais Rectifié a la volonté de rechercher d’abord en lui les voies d’amélioration de l’Homme et de la société. L’amélioration de soi nécessite des engagements forts pour atteindre le but que l’on s’est promis. Il faut aller à l’essentiel et détacher les inutiles scories, retrouver le noyau sous la coque, rechercher l’être et non le paraître.
Il est inutile d’attendre de recevoir quoi que ce soit avant de s’engager dans une démarche telle que celle-ci puisqu’elle consiste à donner tout ce que l’on peut offrir de meilleur en soi. Il n’est pas question de prétendre détenir la vérité, car dans ce cas la quête ne serait plus. Néanmoins, s’il souhaite éviter de tomber dans le solipsisme — c’est-à-dire une pensée qui tourne sur elle même — l’apprenti-cherchant a toujours besoin d’un maître pour comprendre, pour apprendre et pour persévérer. L’engagement dans le parcours proposé par le Rite Écossais Rectifié est un de ses fondements et son esprit chevaleresque en donne le ton dès les premiers instants.
La Franc-Maçonnerie étant avant tout une organisation humaine qui cherche à comprendre le monde qui l’entoure, qu’il soit plus ou moins proche et accessible, invite chaque franc-maçon à se connaître lui-même et à perfectionner sa relation avec ses semblables et son environnement.
En tant qu’Homme, nous sommes exposés au risque de devenir le centre d’un monde que nous transformons et dont nous sommes devenus responsables. Nous sommes également des créatures vivantes issues d’une volonté dont nous devons nous montrer dignes en pensées, en paroles et en actions.

Matérialité et spiritualité

Le Rite Écossais Rectifié fait partie des Rites dits « spiritualistes », en parallèle à d’autres Rites qualifiés de « sociétaux ». Un Rite orienté vers la spiritualité comme le Rite Écossais Rectifié n’a rien de passif ou de contemplatif et ne peut se soustraire à sa responsabilité dans la Cité s’il veut rester maçonnique ; de la même façon, un Rite dit sociétal ne peut s’exonérer d’une influence spirituelle initiatique certaine s’il veut demeurer, lui aussi, maçonnique. Dire qu’un Rite maçonnique spiritualiste est religieux ou dogmatique est aussi absurde que qualifier de profane un rite sociétal. La Franc-Maçonnerie est et doit rester le liant entre les deux piliers que sont matérialité et spiritualité, chacune de ces composantes ayant son indispensable raison d’être pour justifier le caractère initiatique de la Franc-Maçonnerie. Ainsi, le Rite Écossais Rectifié trouve-t-il ainsi pleinement sa place parmi les Rites que reconnaît et protège le Grand Orient De France qui en détient les rituels depuis leur origine.

Mais alors qu’entendre par « spiritualiste » ? Être spiritualiste, c’est refuser toute aliénation à un certain nombre de « nécessités » - bien souvent superflues ! - de la vie existentielle, pourtant abusivement rendues essentielles ; c’est refuser d’être pris dans la spirale matérielle de besoins sans cesse inassouvis, en être insatisfait éternel. Notre pratique rituelle nous invite à nous écarter périodiquement et très temporairement de la matérialité de notre quotidien, à prendre du recul et de la hauteur pour mieux appréhender sa vie matérielle, répondre à un appel intérieur qui ouvre à plus haut que soi, et tenter ainsi de retrouver le vrai sens de l’essentiel. Le maçon rectifié veut être dans le monde, il en a même le devoir, mais sans y être pour autant enchaîné, refusant de se rendre prisonnier d’inutiles et nuisibles passions venues de l’extérieur. C’est le sens de la voie qui est celle du maçon rectifié.

La spiritualité du Rite Écossais Rectifié trouve sa source dans l’ésotérisme chrétien, se référençant aux valeurs morales et spirituelles du Christianisme Primitif, celui des origines - comme spécifié dans la déclaration historique faite lors des Convents fondateurs de Lyon et de Wilhelmsbad - et donc d’un christianisme pré-Nicéen, autrement dit à distance des dispositions et dogmes établis d’autorité lors des deux Conciles œcuméniques de Nicée en 325 et de Constantinople en 381. Notre voie est celle du questionnement nous débarrassant inlassablement des affirmations et certitudes qui freinent toute marche en avant.
Peut-on passer de rien à tout ? Se découvre-t-on parfait en se réveillant un beau matin ou faut il un parcours étape par étape pour accéder à des niveaux élevés de spiritualité ? L’enjeu individuel est bien celui-ci : réussir à construire un processus initiatique qui fait passer du symbole à l’action et qui a comme préalable un engagement réitéré pour éviter les retours aux temps dissolus et mettre de côté les candidats uniquement préoccupés par le banquet et l’entregent.

Amour, Engagement, Bienfaisance

Telles sont les valeurs essentielles qui ressortent de notre pratique ; elles nous guident et nous obligent. L’amour du prochain se donne sans rien attendre en retour et notre engagement est sans faille, car la bienfaisance est de tous les instants.
Bien évidemment, le Rite Écossais Rectifié est unique, et nos rituels, qui sont ceux d’origine, ne diffèrent pas selon l’Obédience. Ce qui diffère parfois, c’est la façon dont vont être lus, entendus, compris, assimilés, les textes rituels, et c’est là que s’érigent nos principes essentiels ci-dessus définis sur le socle des valeurs humanistes de notre Obédience, le Grand Orient de France. Le respect de chacun, la liberté absolue de conscience, le caractère essentiel de la laïcité sont autant de principes fondamentaux que rien ne saurait entacher. Autrement dit, laissons le religieux à la religion et l’initiatique à la Franc-Maçonnerie ; ne confondons à aucun moment rite religieux et rite initiatique, et comme l’a bien précisé le fondateur de notre Rite, le lyonnais Jean-Baptiste Willermoz : « Du moment qu’on mêlera la religion à la maçonnerie, on opérera sa ruine ». C’est pourquoi, totalement en dehors de la religion et notamment imprégnés d’une gnose Martinèsiste, les frères lyonnais réunis autour de Jean-Baptiste Willermoz distillèrent au XVIIIe siècle le contenu de leur quête qui révèle l’intemporelle dimension divine de l’homme et les moyens de se la réapproprier. Cette voie croisant et se mariant à celle de l’Évangile ésotérique de Saint-Jean, principalement en usage dans la franc-maçonnerie du XVIIIe siècle, arrimée à son prologue et au principe de lumière, Verbe de Dieu, principe supérieur, vont conférer au nouveau Rite une aura spirituelle retentissante. C’est le principe humaniste exemplaire, l’homme distingué corrélé au divin qui cherche et retrouve sa voie par un chemin de vertu, socle d’un œcuménisme religieux chrétien à cette époque que porte le Rite Écossais Rectifié et qui se traduit aujourd’hui par un humanisme inscrit dans son temps et son univers au regard des enjeux d’aujourd’hui (transhumanisme, post-humanisme, Gaïa…).

Une méthode : identifier ce que nous avons à faire

Pour y parvenir, le Rite Écossais Rectifié va proposer une mise en action. Rien ne sera reçu, tout sera gagné. La révélation du divin et le retour de son accès ne se dessinent que par un parcours de vertus dans lequel l’impétrant, puis le franc-maçon s’engagent et se meuvent. Il se traduit par la recherche de l’amélioration de soi-même, découvrir et actionner des moyens personnels dont chacun dispose pour agir et mettre en œuvre une bienfaisance active, en s’appropriant et déployant la loi d’Amour, dans le cadre d’un dépassement religieux. Au XVIIIe siècle, il s’agissait de rassembler les hommes de l’époque, chrétiens de leur temps, hors de l’influence de toute Église et dogme, faire sauter entre autres les verrous entre catholiques et protestants pour en revenir au principe initial celui d’un moment idéal, chimérique, qui précède les premières divergences entre chrétiens dont peu importe en réalité la vérité historique, mais qui marque le souhait sincère de dépassement et d’inscription dans le puissant et historique message d’Amour du Christ. Sans attendre, les rituels et les commentaires des fondateurs dépassaient ce moment sacré pour réinscrire leur histoire dans un temps plus long, celui de l’humanité en écho à la maxime de Saint-Augustin « ce qu’on appelle aujourd’hui religion chrétienne existait chez les anciens et n’a jamais cessé d’exister depuis l’origine du genre humain ».
C’est ainsi que l’homme se préoccupe de l’intelligibilité du monde, de l’univers, des autres et de lui-même par l’accès à la connaissance la plus évoluée de l’Homme, une connaissance qui passe dans une entité extérieure à l’esprit pour le conduire au-delà de lui-même. Comme si l’Homme allait à la rencontre d’idées dont il ne dispose pas au départ. Cet exercice lui permettant d’atteindre et de concevoir, par exemple, le Vrai, le Beau, le Bien, entités hors de soi, et pourtant à une distance qui n’empêche pas de les appréhender ou de les contempler.

Perspectives pour le XXIe siècle

Au XXIe siècle et peut-être plus précisément dans le monde occidental, l’homme vit ses premiers jours sous le signe de l’insouciance heureuse. Son plus proche entourage veille à la conservation de cet état, propice au développement physique et moral du jeune individu. Puis arrive inexorablement le temps des inquiétudes, faisant alors osciller l’être entre ces deux états de bonheur et de malheur. L’exigence de la vie contemporaine multiplie ces inquiétudes et chacun cherche à s’en échapper à sa façon, se souvenant de son paradis perdu, de son état primordial de bonheur et d’insouciance. S’en échapper ne signifie toutefois pas aller se perdre dans un ailleurs, illusoire, comme saurait le faire miroiter une société de consommation et de fausses abondances.
Les chemins de vie de l’homme sont le fruit de choix plus ou moins assumés et de rencontres provoquées ou apparemment fortuites. Le parcours proposé par le Rite Écossais Rectifié est l’un de ces chemins de vie et il ne déroge pas à cet état de fait. Toute quête personnelle et démarche initiatique d’un cherchant débute par une rencontre qui suscitera la volonté assumée d’entreprendre la démarche d’un choix personnel mûri. C’est bien par la volonté propre et entière de chacun que le premier pas se fera.
Tel un phare dans la nuit d’une société où les repères pour trouver le vrai bonheur sont difficiles à dénicher, la méthode et la démarche initiatique que propose le Rite Écossais Rectifié - prendre du recul, s’introspecter et s’engager pour l’amélioration de soi et de la vie de ses semblables, mais aussi de notre mère nature - peut-être une réelle voie de Salut. Être bienveillant et bienfaisant envers soi et la société, être un veilleur éveillé afin de s’engager dans le combat pour venir en aide à son prochain fera émerger un véritable chevalier des temps modernes.

Cet esprit chevaleresque, dont l’expression est plus parlante sur la fin du parcours de la maçonnerie rectifiée, s’exprime par le combat que le franc-maçon se doit de livrer à la fois contre lui même - ses préjugés et ses illusions - et contre les forces malveillantes de l’obscurantisme, de l’intolérance et du rejet de l’autre. L’Amour de l’autre, la Bienfaisance « active et universelle », l’engagement total de sa personne, mais aussi le fait de se mettre au service de l’Ordre afin de faire par l’action, rayonner toutes ces hautes valeurs dans la Cité, forgeaient les enjeux d’hier et sont bien encore ceux d’aujourd’hui et de demain.

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